Le spectaculaire glissement de terrain du Super-Sauze

Si le glissement de terrain du Riou-Bourdoux est bien connu des habitants et des visiteurs de la vallée, celui du Super-Sauze l'est beaucoup moins : c'est à peine si l'on remarque au printemps le passage des étudiants de l'Université de Strasbourg qui viennent effectuer des relevés sous la direction de leurs professeurs. Pourtant ce glissement est spectaculaire et intéressant à plus d'un titre. L'École du Sauze ayant la chance de compter au nombre des parents d'élèves des géologues de haut niveau ne pouvait qu'en profiter pour essayer d'approfondir la question. Par une belle journée d'automne, nous sommes donc allés voir les choses de plus près...

 

 Merci à Monsieur Weber de l'Université de Strasbourg pour l'autorisation d'utiliser ses travaux.

Sortie Géologique de l'Ecole du Sauze

Accompagnée par Paule Borgomano-Bouchard, Docteur en Sciences de la Terre (Université de Provence - Aix-Marseille I)

Petite introduction en classe :

- le métier et les outils du géologue de terrain (lire une carte, se repérer, observer les cailloux)
- l'utilité de la géologie dans la vie de tous les jours (l'eau, les métaux, les matériaux de construction, le plastique)
- quelques termes géologiques usuels (couches sédimentaires, roches, minéraux, fossiles, plis, failles, nappes )
- l'échelle des temps géologiques et l'utilisation des fossiles comme moyens de datation (ammonites)
- la géologie de l'Ubaye et la fenêtre de Barcelonnette :
- les Terres Noires du Jurassique Supérieur (Callovien-Oxfordien) forment toutes les pentes douces et le fond de la cuvette de Barcelonnette. Ce sont principalement des marnes, de couleur très sombre parfois bleutée, très peu consolidées, souvent mises à nu par l'érosion, et auxquelles on donne souvent le nom de roubines. Ces marnes ont été déposées à cet endroit même (autochtones), dans une fosse océanique (la fosse Vocontienne) qui, une fois remplie de sédiments, s'est refermée formant le Massif des Alpes.


- des nappes formées de calcaires et de flysch (mélange de marnes, de calcaires et de grès), venues du Piémont au début du Tertiaire (Eocene inférieur et moyen): les nappes de l'Autapie et du Parpaillon (flysch à Helminthoïdes) ont recouvert les Terres Noires et forment tous les sommets autour de Barcelonnette (Chapeau du Gendarme, Pain de sucre, l'écaille des Séolanes, le sommet de La Pare, le Bérard) .
- L'érosion a fait disparaître ces nappes dans le bassin de Barcelonnette laissant apparaître les Terres Noires qui se trouvaient dessous, c'est pour cela que l'on parle de la Fenêtre de Barcelonnette.
- la relation géologie - habitat/cultures, les risques naturels (glissements de terrain), les constructions récentes (lotissement de la Valette, lotissement de la Chaup), les ouvrages sur le Riou Bourdoux, la surveillance des glissements de terrain (l'Institut Géologique de Strasbourg, le RTM :Restauration des Terrains en Montagne).
- La relation géologie ­ flore (sols calcaires, sols siliceux, spécificité des végétaux : arbres, fleurs et champignons)

Visite du glissement de terrain du Super Sauze

Départ de l'école du Sauze à pieds, direction " Les Roubines " du Super Sauze.
Arrivée dans les Terres Noires des Roubines, mises à nu par l'érosion.

 

Observation de l'ensemble du glissement de terrain :
- la loupe d'arrachement tout en haut du glissement, qui recule de plusieurs mètres chaque année (plusieurs cabanes de berger sont déjà tombées)
- la masse onduleuse du glissement
- des lambeaux de forêt, transportés comme des radeaux vers l'aval
- le ruissellement de l'eau partout
- l'aptitude des terres noires à se transformer en boue épaisse pouvant charrier de très gros blocs, ceux aux abords de la piste font bien 4 à 5 m de diamètre (piste des roubines retracée régulièrement).

Observation des Terres Noires :
- couleur : noire bleutée, (oxydations ferrugineuses locales liées au ruissellement des eaux)
- dureté : très friables, argileuses (vont gonfler avec l'eau, glissent plus facilement)
- localement des bancs plus consolidés qui se délitent en " crayons "
- peu de fossiles, on peut y trouver des ammonites comme le specimen apporté, qui appartient à l'espèce Hildoceras bifrons, caractéristique de l'Oxfordien
- observation du contact des marnes noires avec le sol sus-jacent, de couleur gris-clair

Panorama du Bassin de Barcelonnette

Les Terres Noires dans tout le Bassin de Barcelonnette, avec leur érosion particulière " en dos d'éléphants ", les Rouvines (ou roubines) . Localement de gros glissements de terrain (la Valette, Le Super Sauze, La Frache )
Les Nappes de l'Autapie et du Parpaillon formant les sommets plus escarpés (Lan, Mea, Bérard, Pointe Fine, Têtes de Siguret et Cuguret, même le Brec du Chambeyron en arrière plan est formé par les nappes venues d'Italie .
L'écaille retournée de la Grande Séolane.

Observation d'un petit échantillonnage de roches et minéraux de la vallée

- Pyrite (Pierre aux carrelets à l'Adroit)
- Gypse (Terres Plaines)
- Quartz (Cheval de Bois)
- Flysch à Helmintoïdes ( traces de vers chassant pour se nourrir)= Nappe du Parpaillon
- Marbre vert (de Maurin) riches en minéraux verts (Chlorite et Serpentinite) veiné de Calcite
- Grés à Nummulites (sous-bassement Tertiaire (Eocène) de l'écaille de la Grande Séolane)

Retour à l'école du Sauze et mise sur papier

A/ Les principales formations rocheuses observées
- age
- type de roche
- contenu fossilifère
- organisation dans l'espace (profil simplifié du bassin de Barcelonnette)

B/ Description du glissement spectaculaire du Super Sauze

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"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" a-t-IL dit ; nous avons la chance que Paule, non contente de son savoir encyclopédique, apprécie la poésie. Elle a donc trouvé dans ses archives, ce poème d'Arthur lui-même :

Fêtes de la Faim

Si j'ai du goût, ce n'est guère
Que pour la terre et les pierres.
Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Je pais l'air,
Le roc, les Terres, le fer .

Les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'église,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises!

Bruxelles/( Glissement de terrain du Sauze)

Boulevard sans mouvement ni commerce,
Muet, tout drame et toute comédie,
Réunion des scènes infinies,
Je te connais et t'admire en silence.

Larme

Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir.
Ce fut des pays noirs, des lacs des perches
L'eau des bois se perdait sur des sables vierges.
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares

Et l'inspiration lui est venue de le continuer de cette façon :

Noirs inconnus, si nous allions ! allons ! allons !
Ô malheur ! je (me) sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond

Première communion

La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux

Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs

De vos forêts et de vos prés
Ô très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !

Chant de guerre parisien

Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de grands accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !

Accroupissement

Et le soir, aux rayons de lune, qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumière,
Une ombre avec détails s'accroupit, sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose trémière
Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond.

(ça lui va bien au glissement de terrain ! ! !)


A l'évidence, le Sauze est un repère/repaire d'amoureux des mots, comme Alain Sagault, auteur du Livre du Caillou, qui nous livre ici sa vision des Septarias :

LES SEPTARIAS

Leur nom dérive du latin "septarium" signifiant cloisonné, cloison.
On les trouve en chapelets dans les Terres noires. Elles se présentent extérieurement sous forme de boules, de miches de dimensions très variables, d'un diamètre allant du centimètre au mètre.
La surface des septarias de la Vallée de l'Ubaye est noirâtre, grenue, verruqueuse. La section du nodule fait découvrir à l'intérieur un réseau de craquelures rayonnantes de configuration complexe, parfois concentriques sur les marges. Elles auraient été formées à partir de boues en suspension dont les grains très fins se sont déposés sur les fonds marins, parfois à plus de mille mètres de profondeur. Soumises à d'énormes pressions, ces boues se sont ensuite agglomérées en boule et durcies en nodules. L'évolution ultérieure des fonds marins les a fait remonter, d'où une pression moindre, provoquant des fissures bientôt remplies par la calcite, d'un gris beaucoup plus clair.
Chaque septaria porte donc en plein coeur son enfant-image, né de ses épousailles avec la mer et de leur long rêve partagé, un enfant unique, aussi spécifique et inimitable qu'une empreinte digitale, et si mouvant que chaque tranche d'une même septaria en montre un aspect différent.

LA RELIURE DU CAILLOU

La septaria : la pierre qui rêve...
un rêve de pierre, durant des millions d'années,
et au bout du rêve, au coeur de la pierre,
fine et dure, l'image cachée d'un songe
cristallisé par le temps.

Je ne crois pas au hasard.
Si j'y croyais, j'aurais du mal à vous raconter l'histoire de votre reliure.
Car non seulement le livre, mais toutes choses sont reliées dans cette aventure.

Le livre du caillou a été écrit dans la Vallée de l'Ubaye, avec un caillou de la Vallée. Les romains l'avaient nommée Vallis Nigra, peut-être à cause des Terres noires, comme on les appelle encore aujourd'hui, ces marnes schisteuses fragiles que les torrents érodent pour former ce qu'on nomme ici des "roubines".

Le livre était déjà paru quand mon ami Gérard Mouneyres m'a fait découvrir les septaria, ces étranges pierres en boule qui sont en somme le trésor des roubines.
On les trouve dans les éboulis des Terres noires, et elles aussi ont une bien belle histoire ­ mais c'est une autre histoire!
La rencontre était belle, du caillou volant et de ces pierres qui cachent sous la carapace de leur peau grenue d'avocat gris souris des dessins si ténus et évocateurs qu'on dirait souvent une dentelle de pierre.
C'était comme si la Vallée avait voulu me confirmer ce que j'avais découvert en explorant le caillou ­ ou ce qu'il avait trouvé en moi ­ : que même les pierres cachent un coeur tendre sous leur rude écorce!
Sans compter que les cailloux des roubines, comme celui du livre, ont souvent dans le poing la taille et la forme d'un coeur, et bientôt sa chaleur...
Gérard m'a donné deux septarias, coupées en deux par le milieu ­ comme des avocats ­. Je les ai gardées pieusement : cadeau d'ami! Et puis l'une montrait un homme qui semblait appeler.

Enfin, elles étaient si clairement inutiles que j'ai su tout de suite qu'elles me serviraient un jour à quelque chose...
Il suffirait d'attendre que l'appel de cette silhouette grise parvienne jusqu'à moi.
Mais les choses en seraient sans doute restées là si Gilbert Fabiani, mon ami relieur, ne m'avait proposé de donner au livre du caillou une reliure qui lui conférerait, c'était bien le moins, la solidité du roc!
Et pour faire bonne mesure, nous incrusterions dans la toile un caillou qui symboliserait à lui seul le titre et le nom d'un des deux auteurs, vous devinez lequel...
J'avais donc commencé à essayer des cailloux, comme on essaye des bijoux; mais mes pierres s'intégraient mal dans leur monture, étaient trop petites ou trop grandes, prenaient trop de relief, et de toute façon, chacun de ces cailloux, pour sympathique qu'il fût, n'était pas le caillou.
Ce dernier faisait d'ailleurs ostensiblement la gueule, considérant comme vulgaire et légèrement dégradante cette multiplication des cailloux.

Écris-leur donc un livre à chacun! finit-il par ironiser, muré dans une opposition monolithique. Je commençais à m'arracher les rares cheveux qui me restent sur... la tête, quand Gilbert me présenta son premier caillou relié.
Une fine toile grise, parfaitement assortie au héros du livre ­ je ne parle pas de moi.
Une toile grise raffinée, un gris souris qui me disait quelque chose, quelque part... Mais quoi?
Gilbert me sortit de mes réflexions en concluant : Maintenant, tu peux chercher des cailloux, mais il les faut assez plats...
Plats? gris? Bon sang... mais c'était bien sûr! Les sapristia, enfin, les trucs ronds, là, les cailloux gris avec intérieur et secret! C'était ça, l'idéal, de fines coupes de septaria, merveilleusement polies et délicatement collées sur la toile rugueuse, offrant à l'amateur ébloui les fines corolles, les arachnéennes volutes de leur fleur intérieure...
Assorties à la reliure, assorties au texte du livre, assorties au caillou, puisque comme lui, et chacune à leur façon, elle recèlent de mystiques mystères sous leur apparence anodine, rugueuse et trompeusement terre-à-terre.

Seulement, si le concept était beau, il fallait encore qu'il fût réalisable. Les sept... chose sont fragiles, Gérard Mouneyres d'ordinaire les coupe en deux, pas en tranches; allaient-elles vouloir entrer dans notre jeu, accepter d'être débitées sur l'autel de l'art et du livre-objet? Ou leur friabilité exacerbée prouverait-elle leur répugnance à dévoiler leur intimité?
Non sans difficulté, Gérard Mouneyres a pu trancher et polir la septaria que Gilbert a reliée pour toi et dont le mystère désormais t'appartient, hypocrite collectionneur, mon semblable, mon frère! Il te revient de l'inventer avec elle aussi souvent qu'il vous sera bon de le revivre; mais je ne résiste pas au désir de te confier en quelques mots manuscrits ce qu'avant de la quitter en ta faveur j'ai pu percevoir du rêve minéral que ta nouvelle amie poursuit dans sa nuit intérieure peuplée d'étoiles de mer depuis cent cinquante millions d'années.

Voici donc ce que j'ai su de l'histoire de ta pierre : une... tranche de vie dont j'improvise le début et dont tu rêveras la fin.

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